Nous sommes l’une des 10 premières puissances économiques mondiales, et à Paris, Nantes, Rouen, Marseille, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Lyon – j’en passe – des centaines d’ados sont laissés dans nos rues, livrés à eux-mêmes, sans hébergement, sans nourriture, sans repères.
En France, la loi exige qu’un mineur présent sur le territoire soit pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), dès lors qu’il est privé de protection familiale. Les jeunes étrangers sont donc évalués afin de déterminer s’ils sont à la fois mineurs et isolés.
La réalité que l’on voit lorsque l’on parle à ces jeunes et dont témoignent tous les collectifs et autres associations qui accueillent les jeunes à la sortie des ces évaluations, c’est
- des entretiens d’évaluation qui durent 10 mn – à ce stade, ça s’appelle une évaluation au faciès et oui, c’est illégal
- des agents de sécurité qui sortent les jeunes des files d’attente – ça, c’est un refus guichet, et re-oui, c’est re-illégal
- des arguments de décision en copier coller – par exemple, ceux-ci sont très en vogue : *
- des agents chargés de l’évaluation
malnon formés – vous me croyez pas ? bah lisez les compétences requises sur cette annonce que l’on trouve actuellement sur le site de Pôle Emploi (le lieu est flouté car le but n’est pas de stigmatiser, juste de faire comprendre, que collectivement on a un problème à régler là…)
Comment ?
Ca ne vous semble pas très raccord avec l’arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 relatif aux modalités de l’évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ?
Rooo, franchement, vous chipotez là !… non ?
Alors certes, ces dernières années, les mineurs non accompagnés – MNA (l’ancienne appellation officielle était mineurs isolés étranger – MIE) sont plus nombreux à arriver en France. En une douzaine d’années, on est passé de quelques milliers, à quelques dizaines de milliers.
Et oui, pour les services concernés, c’est un changement massif : personne ne peut s’occuper de 150 jeunes comme il.elle s’occupait de 15. C’est vrai. Mais bon, en plus de 10 ans, est-ce qu’un pays comme la France ne devrait pas être capable de s’organiser pour prendre dignement en charge ces jeunes ???
13'55
— Migrants discussions (@Migrants_discus) October 29, 2018
"La convention des droits de l'enfant, elle est pas appliquée.
Tout enfant sur le territoire [français] à droit à l'éducation à la santé. C'est pas appliqué.
C'est pas demander un privilège que de demander que nos lois soient appliquées"
Et puis attendez, c’est pas tout ! Il faut aussi parler de la violence symbolique de ce bazar ! Commençons par celle que subissent les salariés des associations (Croix Rouge, France Terre d’Asile, …) qui réalisent ces évaluations, et tous les jours, doivent mettre des jeunes à la rue ! J’ai comme idée que lorsqu’on s’engage avec la Croix-Rouge, jeter des ados à la rue, ce n’est pas précisément l’idée qu’on s’était faite du job ! Or certains responsables de conseils départementaux disent : « J’ai dix places, on aura dix personnes reconnues comme MNA. » ** Vous le feriez, vous, l’entretien d’évaluation dont vous savez d’avance qu’il devra résulter en un refus, quel que soit ce que vous pensez de la minorité du jeune en face de vous ??? Ces travailleurs sociaux doivent non seulement renoncer à protéger des personnes vulnérables, ce qui, à un moment donné a quand même bien du faire partie de leur motivation professionnelle, et du même coup, ils se retrouvent à passer leur journée à faire un travail absolument inutile, insignifiant. Pour le moral, l’estime de soi, tout ça, c’est coton !
En tous cas, le résultat, c’est qu’en plus de la violence de se retrouver seul sur le trottoir, sans accompagnement pour entreprendre un recours, sans hébergement, sans nourriture, rien, les « évaluations » elle-mêmes sont d’une violence symbolique inouïes pour les jeunes qui les subissent. Ils arrivent ici plein de leurs rêves d’une France protectrice où ils espèrent que le cauchemar de leur parcours va enfin prendre fin et ce qu’ils se prennent dans la tronche, c’est défiance et suspicion à tous les étages. Quand ce n’est pas carrément des accusations de mensonge aussi explicites qu’infondées – là, dans mes tripes, je vois le regard de I, lorsqu’après m’avoir raconté comment on lui a directement refusé l’entretien d’évaluation sur un « toi, je t’ai déjà vu ! », il me dit « mais je viens d’arriver ! ce n’était pas moi ! » . Ce besoin que quelqu’un le croit, et cette incompréhension presque enfantine qu’on puisse l’accuser de tricher, alors que lui sait bien que ce n’est pas le cas…
Vous leur répondriez quoi, vous, quand ils demandent, et de façon répétée, comme lorsque l’on cherche à résoudre un conflit intérieur : « Tu racontes ton histoire, ta propre histoire que tu a vécue au cours de la route et ils te disent que tu mens. Tu vas raconter quoi maintenant ? Le mensonge ? Si tu dis la vérité, on te dis tu mens. Donc tu vas faire quoi ? Je leur ai dit que j’ai lavé des bols [fais la plonge] en Algérie, pour gagner un peu d’argent. Et ils me disent que je ne suis pas mineur parce que j’ai travaillé. Alors quoi ? Je dois mentir maintenant ? Je dois créer une autre histoire ? ».
Quelle société sommes nous, quel avenir sommes-nous en train de créer, non seulement en ne donnant pas à ces jeunes le cadre minimal auquel ils ont droit pour pouvoir construire leur vie, mais par dessus le marché, en brouillant leurs repères, en trahissant la confiance qu’ils ont dans notre société et dans une parole sincère ???
La rage. A chaque retour du grand froid, c’est encore plus la rage.
Ce matin ils étaient frigorifiés près du dispositif censé les mettre à l’abri de façon inconditionnelle…
les plus chanceux ont eu le droit de revenir à 14h et ont une nuit à l’hôtel ce soir. Ils sont restés dehors depuis vendredi comme le demie est fermé le week-end. Ils attendent avec impatience lundi 9h. À 9h, ils sont invités à revenir à 14h puis de 14h30 à 16h30 c’est encore l’attente dehors, sans un repas. 16h30 ils se font siffler comme des chiens sur la place de l’attente pour enfin aller se réchauffer: une nuit.
Et puis, vers 15h c’est ceux qui ont dormi à l’hôtel la veille qui reviennent. Ils viennent de recevoir leur lettre de refus.
H. 16 ans, copie de son certificat de naissance en poche vient de Somalie. Il parle arabe et peu d’anglais. C’est sûrement la raison pour laquelle ils n’ont pas du avoir envie d’essayer de le comprendre.
A 14h il a été immédiatement refusé au guichet sans même la nuit d’hôtel.
On a récupéré tout le monde pour aller manger au chaud dans la salle. Offrir du chaud, orienter, prendre les signalements, donner des petits téléphones à ceux qui dorment dehors, des gants, des pulls, des duvets: tout ce que nous avons. 130 repas servis.
– “Maintenant je vais quitter ici mais ça va être dur pour dormir dehors” : A 15 ans.
– “la crème elle va me soulager comme le froid il mange ma peau pendant la nuit” : M 16 ans.
– “la nuit d’avant, on m’a volé mon sac, j’ai plus rien maintenant. En plus je le mettais sous ma tête sur le banc” B 15 ans.
– “ Pendant le temps qu’on va attendre de voir le juge, comment on va faire pour dormir d’abord ?” K 16 ans
– “Merci madame pour le duvet, je suis très content”: S 16 ans.
C’est à ce moment que j’ai été me planquer dans la réserve pour lâcher quelques larmes…
Et puis, à 16h il faut rendre la salle.
Ils ont bien du mal à partir…
Quand je ramasse les dessins je vois la Tour Eiffel, du bleu, du blanc, du rouge…
Demain, c’est la journée internationale des droits de l’enfant.
Ils seront nombreux avec nous à venir à 18h30 place de la république.
Venez pour eux, pour exiger que tout cela s’arrête, que les droits soient appliqués, que le gouvernement, la mairie de Paris se bougent enfin.
Pour qu’ils accueillent ces enfants venus d’ailleurs.
Que ceux qui peuvent le faire, qui en font une communication de campagne politique ouvrent immédiatement des lieux pour que personne ne dorment dehors.
Que le plan grand froid s’applique dès les premiers froids et pour tous.
Je me joins à Agathe et tant d’autres, pour en appeler au gouvernement et à la Mairie de Paris. Légalement (cf l’arrêté mache-pro-truc sus-mentionné en son article 8), c’est en effet le.a président.e du conseil départemental qui est responsable de la décision de protection (Paris étant également département, la maire est aussi présidente du conseil départemental). Et les départements se crêpent le chignon avec l’Etat pour définir qui finance combien… Evidemment, ce n’est pas simple, et suivant les départements, la volonté politique est plus ou moins disons… motivée. En ce qui concerne le gouvernement, je vous laisse juge … mais sérieusement, la France a signé la convention des droits de l’enfant et DES ADOS DORMENT DANS LES RUES !!! Vous croyez pas qu’on, je veux dire nous la France, nous citoyens français, chacun à son niveau, vous croyez pas qu’on devrait faire quelque chose, là ???
J’ajoute aux destinataires de cet appel, les associations qui ont délégation (et donc financement) des départements pour réaliser les évaluations. Pour Paris, il s’agit de la Croix-Rouge et elle risque de ne bientôt plus pouvoir se cacher derrière le prestige de son nom, pour masquer la réalité de la situation (plusieurs associations de bénévoles qui récupèrent les jeunes à la sorties des évaluations ont appelées à manifester vendredi 23 nov 2018, devant son siège). S’il vous plait, vous qui travaillez dans les bureau d’évaluation, dites non aux conditions insensées dans lesquelles on vous demande de réaliser votre travail ! Et vous qui êtes responsable, à la Croix-Rouge, à France Terre d’Asile, (autre ?), please, commencez par reconnaître l’état des choses, au lieu de vous draper dans un déni ou un silence qui ne masqueront jamais la réalité : des ados dorment dans les rues des grandes villes française, parce qu’on … nous, la France les accuse à tord de mensonge…