Période pré jupitérienne
En décembre 2002, le centre de Sangatte, un hangar dans lequel vivaient plus de 1.600 migrants est fermé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Cette fermeture se fait sous la pression de la Grande-Bretagne, qui estimait que le centre était « un réservoir d’immigrants clandestins toléré par la France »*.
La Grande-Bretagne, qui n’appartient pas à l’espace Schengen, voulait alors interdire le passage de ses frontières aux non-ressortissants de l’Union européenne ne disposant pas d’un visa. En 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur signe avec Londres, le « traité du Touquet » qui vise à renforcer les contrôles au départ de la France afin de juguler l’immigration clandestine en Grande-Bretagne. Ce traité est suivi d’accords bilatéraux, en 2009, 2010 et 2014. Ces accords prévoient que la Grande-Bretagne finance les contrôles et la sécurisation des sites de transit dans le Calaisis, région qui fait face au port de Douvres. Pourtant, en 2015, Xavier Bertrand député de l’Aisne dénonçait le « peu de moyens » mis en oeuvre par le gouvernement britannique alors qu’il revient de plus en plus aux autorités françaises de contrôler l’immigration clandestine vers la Grande-Bretagne, y compris aux abords du tunnel sous la Manche.
Pourquoi la France a-t-elle signé un traité aussi défavorable à ses intérêts ? du fait de l’incompétence des responsables de l’époque ou pour se faire pardonner de ne pas être intervenue en Iraq aux côtés des anglais…
Des bureaux qu’on appelle des « bureaux de contrôle nationaux juxtaposés » sont installés à Calais et à Douvres. Les agents qui ne sont pas dans leur pays (par exemple les Britanniques envoyés à Calais) doivent vérifier que les candidats à l’immigration remplissent les conditions pour entrer en Angleterre. Ils peuvent retenir un immigré pendant 24h. Pareil à Douvres… sauf que les candidats qui passent par la Grande-Bretagne pour venir en France sont beaucoup beaucoup moins nombreux, cette réciprocité de forme est donc totalement théorique.
De même pour les demandes d’asile : tout se joue au départ du navire. D’après le traité, si la demande d’asile est formulée avant que le bateau ne parte pour l’Angleterre, c’est à la France de traiter la demande. Si elle est faite après le départ du bateau, c’est à l’Angleterre de s’en charger, mais une fois à Douvres, si le demandeur se voit refuser sa demande par le Royaume Uni, il est renvoyé à Calais !
Concernant les clandestins qui tentent de passer la frontière cachés dans des camions, le traité stipule que les contrôles de fret se font « à l’entrée du terminal fret », c’est-à-dire en France.
Fin 2016, début 2017, dans un climat de tension lié aux négociations autour du Brexit, François Holande et Bernard Cazeneuve appelent la Grande Bretagne à prendre ses responsabilités, en particulier en ce qui concerne l’accueil des mineurs non accompagnés et le réexamen des dossiers de demande d’asile rejetés par Londres.
Questions
Dans cette histoire, il y a deux choses qui me posent question :
- Si les gens veulent aller au Royaume Uni, au nom de quoi on les en empêcherait ? Est-ce que la Grande Bretagne n’est pas tout aussi apte à recevoir des demandeurs d’asile que la France ?
- Si la Grande Bretagne se défausse de ses responsabilités de grande puissance qui pourrait tout à fait accueillir des demandeurs d’asile, pourquoi la France accepte de faire le sale boulot à sa place ?!? Parce que le résultat, entre autre**, c’est que les agents de l’OFII et de l’OFPRA se retrouvent dans la situation totalement ubuesque d’avoir à supplier des gens (qui veulent aller en Angleterre) de demander l’asile en France !! (sauf erreur, c’est dans ce documentaire sur le travail des officiers de protections que j’ai vu çà…) On marche quand même carrément sur la tête là, non ?!!
Ce que fabriquent Emmanuel Macron et Cie …
En mars 2016, Emmanuel Macron, alors Ministre de l’économie a fait le buzz en menaçant les Anglais de « ne plus retenir les migrants à Calais », en cas de Brexit. Il s’est alors fait remonter les bretelles par Bernard Caseneuve, en mode : « t’es Ministre de l’Economie mon coco, occupes toi de tes plates-bandes ! »
Mais du coup, en janvier 2018, alors qu’il est devenu président de la République Française et qu’il doit rencontrer Theresa May lors d’un sommet franco-britannique à Sandhurst, ya toute une bande d’optimistes – dont je fais partie – qui se sont dit « ah ben là, maintenant que c’est son taf, il va leur mettre les points sur les i, aux Rosbeefs ! Theresa, tiens-toi bien on t’envoie Manu ! »
ahum …bon … comment dire … Primo : l’accord du Touquet n’est pas dénoncé. « Ceux qui ont proposé de “déchirer” le Touquet n’ont jamais rien proposé d’autre. » dixit Manu (oui, oui, a priori c’est bien le même … bon, à sa décharge, je n’ai pas trouvé trace qu’il ait explicitement proposé de dénoncer le traité, il a juste fait le cake dans le Financial Times pour essayer de faire peur aux Anglais, nuaance !…>-|…)
Alors quoi ? et bien disons business as usual, pas grand chose de neuf sous l’soleil la pluie (n’oublions pas qu’on parle du Calaisis, là … ;-} … rrooo ça va j’décooonne, vous énervez pas les cht’is ! …). Theresa a lâché 50 M° d’euro pour qu’on continue à gérer sa frontière à sa place. On peut se demander pourquoi, vue que ses con patriotes d’extrême droite continuent quand même d’aboyer. Si elle avait accepté que la Grande-Bretagne prenne ses responsabilités plutôt que de payer pour se débarrasser des migrants, au moins, la dignité y aurait gagné …
L’accord qui a donc été signé à Sandhurst en complément de celui du Touquet « prévoit une accélération de la procédure d’examen des demandes d’entrée au Royaume-Uni pour les migrants de Calais : au lieu de six mois en moyenne, le délai sera réduit à trente jours pour les adultes et à vingt-cinq pour les mineurs. Mais, interrogée jeudi, Mme May a refusé de préciser combien de ces derniers pourraient être accueillis grâce au nouveau dispositif. Après avoir évoqué le nombre de 3 000 mineurs accueillis, Downing Street a donné son accord pour 480 admissions, mais n’en a en réalité accepté, jusqu’à présent, que 220. » Deux-cent-vingt***. Population du Royaume Uni ? 66 M° (grosso modo comme la France) Il faut un sommet entre chefs d’Etats pour organiser le transfert de 200 gamins et plus personne ne semble espérer que le RU puissent envisager d’accueillir des demandeurs de refuge en dehors des mineurs et du regroupement familial…
Il semble donc que les Britanniques qui se battent pour la dignité de leur pays et toutes les bonnes volontés**** qui se mobilisent pour faire face à la situation humanitaire engendrée par ces accords iniques n’ont pas fini de ramer. Haut les cœurs ! On va yarriver…
* Comme l’indique l’introduction du traité du Touquet
** « Outre le coût humanitaire infligé par les autorités aux migrants pour les dissuader de rester aux abords de Calais, la gestion de la frontière a un coût très important puisqu’elle immobilise un nombre élevé de policiers. S’y ajoutent un coût économique pour le Calaisis, un coût politique constaté à chaque élection, et un coût en termes d’image de la France. Par ailleurs, et cela est trop négligé, cet accord nous conduit à violer nos obligations au titre des accords de Schengen et du règlement Dublin. » Olivier Cahn, Maître de conférences en droit pénal qui a consacré sa thèse de doctorat à la « coopération policière franco-britannique dans la zone frontalière transmanche » Le Monde, 17 janv 2018
*** Quelques jours après la signature de l’accord, une centaine de jeunes espérant en bénéficier arrivaient à Calais, mettant notr’ Papy Gégé national en panique : Gérard Colomb [ministre de l’intérieur] rappelle que seuls les mineurs arrivés en France avant le 18 janvier sont susceptibles d’être pris en charge dans le cadre de ces transferts …
**** par exemple (liste non exhaustive !) @AubergeMigrants Utopia56 @RYS_Calais @calaisolidarity @HelpRefugees @RefugeeCKitchen @Care4Calais @safepassageuk @caritasfrance
Les mineurs isolés de Calais vont-ils pouvoir aller plus facilement en Angleterre ? InfoMigrants, 29 janvier 2018